Cet article est la traduction par B. & F. Schmitt d'un livret du Vénérable Dhiravamsa intitulé "San Juan Vipassana Center and a broad approach to insight development".
Traduit et reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

 Dhiravamsa clarifie dans cet article les principes à l'oeuvre dans la méditation Vipassana en fonction de l'enseignement du Bouddha, mais également en traduisant en langage moderne et psychologique certains concepts autrement plus difficiles à saisir ou à comprendre en profondeur.

1. L'énergie Atapa

Cette énergie méditative se développe et se manifeste pleinement lors de la méditation assise intensive, lors de marche en pleine conscience, ou de travail en pleine conscience, également lorsque l'on est au repos, en gardant un esprit alerte et clair.

Cette énergie Atapa s'écoule constamment des profondeurs de notre être dans les différentes parties de notre corps et de notre psyché dans l'unique but d'en dissiper, brûler et libérer les blocages refoulés.

En bref, sa tâche principale est d'accomplir un nettoyage complet et un travail de purification de tous les systèmes afin que tous les schémas d'énergies puissent circuler ensemble en parfaite harmonie. Ainsi tout le système énergétique peut se déployer naturellement sans une quelconque obstruction.

Sans aucun doute, l'énergie Atapa travaille en étroite collaboration avec l'attention éveillée et l'intelligence et a son propre programme. Elle sait exactement quoi faire, à quel moment effectuer le travail, et jusqu'où elle peut aller. Il n'y a aucune complication dans son entreprise, à moins que ne survienne une interférence de l'ego (non conscient).  Néanmoins dans cette pratique le méditant a pour claire instruction  de rester non identifié, ainsi que non attaché à tout ce qui survient et de rester constamment présent et attentif tout le long du processus sans intervenir, sans juger, sans commenter et sans s'échapper ou s'opposer à ce qui est en train de se produire.  Le méditant laisse simplement l'énergie Atapa travailler en toute hospitalité.

2. L'attention

L'attention (ou Sati en Pâli) est un niveau de conscience et une pure énergie qui  opère simultanément avec le flux perpétuel de la conscience.

Elle entre en contact avec tout ce qui surgit [dans le champ de notre expérience], nourrissant et apportant ainsi une information de première main au sujet/ego.

L'attention possède les qualités de non attachement, non verbalisation (silence), non choix et non action.

Ainsi L'attention ne change en rien ce qu'elle voit. C'est à notre sagesse intuitive que revient la fonction de prendre des décisions en rapport précisément avec l'information reçue directement par l'attention [réponses choisies].

En l'absence d'attention, l'Ego (la branche exécutive de la personnalité) s'identifie à certaines sous-personnalités (le critique, le contrôleur, l'enfant intérieur, …) et n'a ainsi aucun moyen de recevoir l'information objective sur ce qui surgit véritablement, et devient  incapable d'effectuer un quelconque choix. Le sujet/ego n'a, dans cette optique, pas d'autre choix que d'agir sous les ordres de la sous-personnalité qui a pris les commandes à ce moment là [réactions automatiques].

La non-identification et l'objectivisation ne peuvent agir dans la vie qu'avec la présence de l'attention.

Plus on a d'attention, plus on a d'espace et de liberté sur les sous-personnalités (ou schémas d'énergie) qui  surgissent dans le flux de notre conscience et qui se débattent en lui pour jouer le jeu de la vie.

Quand l'attention est présente et fait le travail d'observation avec une complète objectivité, aucune des sous-personnalités qui entrent dans son champ d'observation ne pourra intervenir pour faire son show.

Pour cette raison, si la sagesse intuitive peut opérer pleinement, aucune erreur dans les choix ne sera faite.

Ainsi toutes choses à l'intérieur de soi peuvent circuler naturellement et librement ensembles en paix et en harmonie.

Ainsi, l'attention devient le plus objectif des reporters, qui donne une information précise et impeccable sur ce qui surgit réellement à la fois aux niveaux conscient et inconscient.

C'est l'attention qui connaît à la fois le vrai et le non vrai, l'essentiel et le non essentiel directement avec son propre oeil de pure intuition, qui est l'œil témoin ou l'état témoin.

En analyse finale, c'est avec la présence continue d'une pleine conscience totale de chaque instant que l'Eveil devient possible. Ainsi, le plein développement de la pleine conscience apporte naturellement le plein Eveil.

Ou alors, il n'y a aucun espoir autre que de chercher à tâtons dans l'obscurité de l'ignorance, cette énergie passionnée qui nous empêche de voir ce qui est vraiment.

3. La Claire Conscience

 Inséparable de l'attention (Sati) est la Claire Conscience ( Sampajanna).

Ce terme pâli a été traduit par plusieurs mots comme attention, connaissance intérieure, sagesse et clarté de la conscience. 

Pour nous le sens le plus précis en termes de pratique de Vipassana est la clarté de la conscience (ou Claire Conscience)  ainsi que le traduit du pali le très Vénérable Nyanatiloka.

Ce terme se réfère à la vision intérieure pure et profonde qui s'élève à la fois au travers du processus de l'attention et aussi du champ énergétique de la tranquillité, qui arrivée à un stade de plein développement et de complète maturité, conduit à la sagesse adamantine (vajra-panna).

Par la pleine opération d'une telle sagesse, toutes choses  se trouvent complètement détruites en ne laissant pas même de cendres derrière elles, si l'on use de l'expression orientale. Cela signifie simplement que tous les schémas d'énergies destructifs et malsains (Kilesa/impuretés/perturbation) ont atteint leurs complètes transformations simultanément avec la transformation finale  s'accomplissant dans la conscience.

Dans ce moment vibrant et vivant qu'est l'Illumination sont présents la pleine Conscience, la Sagesse complète, la totale Liberté, Amour, Joie, Non-Attachement, l'absolue absence de la notion de moi et de mien, le Flot Eternel du Grand Tao et du Nirvana (la Vacuité).

Ainsi s'accomplit la Suprême Conscience Holistique.

4. Le Lâcher Prise (Letting Go)

Ainsi que nous le comprenons, le lâcher prise est l’essence même de la pratique spirituelle.

Cette pratique vise spécifiquement à lâcher l’attachement et pas seulement l’attachement aux choses matérielles mis également aux non matérielles, incluant les bonnes et les mauvaises expériences.

Quand l’attachement est absent, les choses peuvent circuler librement de façon naturelle.

Ainsi l'attachement en tant que fort système de défense, et la dépendance, fonctionnent en créant des liens très forts avec les choses, jusqu'à créer tensions, stress, peur, douleur et souffrance.

Selon le Bouddha, l’attachement n’a de cesse de nourrir à lui seul le désir, et ensemble (le désir et l’attachement) deviennent  causes prédominantes de la souffrance. Ils s’appuient l’un sur l’autre par tous les moyens et sans exception. Plus le désir ardent se fait sentir, plus la personne devient attachée à la fois à l’objet du désir et à l’énergie du désir en lui-même. Et ainsi l’attachement accroit en puissance le désir/soif. Ils sont totalement interdépendants.

Quand nous lâchons l'attachement, le désir est réduit à lui seul et impuissant sans personne qui le soutienne et maintienne son énergie. En conséquence, il s’en remet à la Sagesse Intuitive qui le laisse juste être ce qu'il est. C’est ce qui est appelé dans le bouddhisme traditionnel « l’extinction du désir ».

Par exemple, Mr Martin désire absolument avoir une super voiture, il pense alors qu’il a vraiment là une excellente idée de s’offrir un tel luxe. Il devient ainsi pareillement attaché à cette idée qu’au désir lui-même de posséder cette voiture dans la mesure où le voilà identifié totalement au deux à la fois (idée et désir). Son fort désir augmente à mesure que son attachement à l’idée d’avoir cette voiture devient de plus en plus fort. Finalement il trouve le moyen de l’acheter en dépit de la grosse somme d’argent qu’il doit emprunter.

Au contraire, s'il choisit de lâcher son attachement  qu’il a de posséder une si belle voiture, en étant capable de se séparer à la fois de son désir et de l’idée de vouloir cette voiture, il trouvera alors son propre espace créé par la pleine conscience. En étant présent, dans un tel espace de liberté,  où  ni le désir ni l'idée/pensée ne le dérangent, il ressent la liberté de faire son propre choix avec toute la lucidité de sa conscience. Etant libre de l’attachement, il s’est libéré de l’esclavage à la dépendance psychologique et émotionnelle et ainsi il continue de vivre merveilleusement sa vie en étant libre et heureux.

Une vision claire ou un insight aiguisé doit être présent afin que le lâcher prise atteigne un degré d'efficience opérationnelle.

Sans une vision particulièrement claire, profonde et pénétrante de l’ensemble de la structure de ce qui est, il n’y a pas à proprement parlé de lâcher prise. Et quand survient une telle vision claire et totale, émerge très naturellement le lâcher prise.

Ainsi ils sont ensemble intimement liés (la vision claire et profonde et le lâcher prise).

5.  Le non-attachement

Cet attribut de l'Esprit Pur est relié à l’Indépendance, la Liberté et l’Amour.

Non seulement la négation de l'attachement joue un rôle signifiant, mais la plus essentielle manifestation de cette vertu est une attitude positive envers toutes choses et toutes expériences dans la vie, dans le sens de les étreindre avec chaleur et amour, et ensuite continuer le chemin sans les blesser ni les désirer.

Avec le non-attachement on est capable d’avoir toutes les choses et les expériences dont on a besoin, en étant totalement indépendant de chacune d’elles psychologiquement et émotionnellement, et en même temps,  avec une liberté immense dans notre relation à ce que l’on a et à ce que l’on n’a pas, à la fois intérieurement et extérieurement.

Pour cette raison nous pouvons circuler librement avec amour et sagesse sans aucun obstacle, en interagissant de manière avisée avec tout ce qui se manifeste, ou le non manifesté dans le cours de notre vie.

Ainsi, le non-attachement, l’amour et la sagesse sont inséparables. La sagesse (la capacité de voir les choses comme elles sont et de s’élever au-dessus d’elles) renforce le non-attachement.

Le non-attachement (la liberté d'être) renforce l’amour. L’amour (le sentiment d’être connecté et de ne faire qu’un avec tout  sans aucune discrimination et avec une conscience de l’unité) renforce la sagesse. La trinité en action !

Dans l’ordre inversé, la même chose s’applique à ces trois attributs de la conscience : la sagesse soutient l’amour. L’amour soutient le non-attachement. Le non-attachement soutient la sagesse.

Nous conclurons avec la célèbre parole du Bouddha :

"Sabbe dhamma nalam abhinivesaya – Aucunes choses tant relatives qu'absolues ne valent qu'on s'y attache".